Nicolás ANDRUSKIEWITSCH
Docteur Honoris Causa 2014 de l'Université Blaise Pascal
- Éloge par François Dumas
- Réponse de Nicolás Andruskiewitsch
- Entretien entre Nicolás Andruskiewitsch et François Dumas
- Film des différents moments
Éloge par François Dumas
Je souhaite avant tout exprimer l'honneur et le plaisir qui sont les miens de présenter devant cette assemblée notre collègue Nicolás Andruskiewitsch, professeur à l'université de Córdoba, directeur de recherche au CONICET, membre de la Academia Nacional de Ciencias, mathématicien argentin, mathématicien international.
Les idées mathématiques ont elles une histoire ? Les idées mathématiques ont elles une géographie ?
Précisons un peu : pour ce qui est de l’histoire, il nous faut distinguer entre ce qui relève de l’histoire intrinsèque des concepts, de leur émergence, de leur développement, et ce qui relève de l’histoire scientifique de ceux qui les créent et qui les portent, à savoir les mathématiciens. La réalité de la recherche se situe bien sûr à la confluence des deux courants : les idées des mathématiciens germent sur le terreau de la vie organique des théories de leur temps, et c’est par leurs travaux originaux que les mathématiciens structurent et clarifient l’architecture évolutive des contenus scientifiques. Et ce que je souhaiterais vous faire partager dans un instant, c’est combien cette adéquation dialectique à un instant donné, entre un chercheur en pleine activité et une thématique en pleine évolution, se trouve illustrée de façon exemplaire par les travaux du mathématicien Nicolás Andruskiewitsch à un palier de l’histoire actuelle de la théorie des algèbres de Hopf.
Auparavant, précisons encore sur ce que j’entends par la dimension géographique en mathématiques. Il y bien sûr d’abord l’espace géographique où se déploie l’activité des mathématiciens : sa dimension naturelle est l’échelle internationale qui est celle des collaborations et de la diffusion des idées ; sur ce plan la carrière de Nicolás Andruskiewitsch est, on le verra, plus que représentative. Il y a aussi la capacité de créer au sein de ces échanges tous azimuts des réseaux plus stables de collaborateurs et d’élèves travaillant de façon conjointe et organisée sur différentes directions issues d’un même problème central, en d’autres termes la capacité de faire émerger une « école » ; et là encore c’est un point saillant du rôle scientifique de Nicolás Andruskiewitsch. Il y a enfin, au-delà de la géographie des mathématiciens, une forme de géographie des idées mathématiques elles-mêmes. Les réseaux d’interdépendance des notions entre elles, le relief de certains arguments, l’ubiquité de certains concepts, les connexions parfois inattendues entre des théories parmi les plus abstraites et leur efficacité pour rendre compte des réalités de la physique, tous ces éléments dessinent les contours cartographiques de territoires intellectuels, sur lesquels je terminerai mon intervention.
Pour l’instant, revenons à l’histoire des concepts mathématiques, et en l’occurrence à une notion centrale dans les recherches de Nicolás Andruskiewitsch, celle d’algèbre de Hopf. Il est hors de question de donner ici ne serait-ce qu’une idée de la définition. Précisons seulement qu’il s’agit d’un objet abstrait permettant de modéliser les symétries de systèmes particulièrement complexes. Précisons plus particulièrement qu’il s’agit de ce que l’on appelle une structure algébrique, c’est-à-dire la formulation d’un ensemble d’axiomes qui, lorsqu’ils sont vérifiés conjointement, déterminent des propriétés communes susceptibles de s’appliquer à des situations extrêmement diverses et dans des domaines très variés.
La notion d’algèbre de Hopf est ancienne et remonte aux travaux de Heinz Hopf en topologie algébrique dans les années 40. Les décennies suivantes voient la définition algébrique se dégager et se stabiliser progressivement à travers les travaux entre autres de Borel, Dieudonné, Hochschild, Kostant et Cartier. L’ouvrage de Sweedler à la fin des années 60 finalise la reconnaissance des algèbres de Hopf comme un domaine à part entière au sein des théories algébriques. Elle s’est depuis imposée comme un outil essentiel dans des domaines mathématiques majeurs comme la géométrie non commutative (et on ne peut pas ne pas citer alors Connes, médaille Fields 1982) ou l’explosion des travaux sur les groupes quantiques dans les années 80 (avec entre autres la médaille Fields attribuée à Drinfeld en 1990).
Se produit alors en 1998 l’un de ces phénomènes de concomitance qui témoignent qu’un problème mathématique au cœur de l’actualité est arrivé à son degré de maturité. La même année donc, sont publiés à quelques pages d’intervalle dans la même revue (le Journal of Algebra qui est « la » revue historique internationale en algèbre) trois articles consacrés à la classification des algèbres de Hopf pointées de dimension p3, problème qui était une étape naturelle dans la marche d’approche vers le sommet d’une classification. L’un des trois articles se distingue par deux particularités qui lui confèrent un poids singulier : d’une part il résout au passage par la négative une conjecture figurant dans la célèbre liste de dix problèmes ouverts que Kaplansky avait identifiés en 1975 comme importants sur les algèbres de Hopf, d’autre part et surtout il introduit une méthode originale susceptible par son degré de généralité de s’appliquer à bien d’autres algèbres de Hopf pointées, jetant ainsi les bases pour des recherches ultérieures.
Cet article, vous l’avez déjà compris, est signé de Nicolás Andruskiewitsch en collaboration avec le mathématicien allemand Hans-Jürgen Schneider. Cette méthode dite « de relèvement » va être le cœur de leur travail commun durant les douze années suivantes. Il aboutit à la publication en 2010 dans « Annals of Mathematics », peut-être le plus prestigieux journal en mathématiques, d’une forme finalisée de la classification recherchée. Fait remarquable, les invariants de classification qu’ils obtiennent sont pour une part directement liés à des données combinatoires de « type matrice de Cartan », ce qui souligne que même dans leurs formes les plus générales et les plus abstraites, les algèbres de Hopf pointées restent structurellement liées de façon essentielle à la théorie de Lie d’où elles tirent en partie leur origine. Autre point à souligner : comme toujours avec les théorèmes de classification, le point final que constitue leur article n’épuise pas complètement la question mais ouvre au contraire des pistes nouvelles à explorer. La levée de certaines restrictions arithmétiques sur la dimension, le passage des groupes abéliens aux groupes non abéliens pour la partie de degré zéro, sont autant de prolongements potentiels intéressants qui vont motiver les travaux de mathématiciens pour les années suivantes. Nicolás Andruskiewitsch est déjà partie prenante dans ces étapes ultérieures, prolongeant cette jonction fructueuse entre une phase de son parcours scientifique et une phase du développement de la théorie. J’ai tenté de donner une idée de la théorie, je vais maintenant m’attacher à présenter le mathématicien.
Il est de tradition de faire débuter la carrière des chercheurs académiques à leur thèse de doctorat. On peut peut-être mentionner quand même dans le cas de Nicolás Andruskiewitsch qu'il avait précocement eu l'occasion de se distinguer puisqu'il avait remporté à l'âge de 14 ans les olympiades mathématiques argentines, et que son parcours préuniversitaire est jalonné de diverses autres distinctions. Il soutient sa thèse de doctorat à l’université de Córdoba en 1989 sous la direction de Juan Alfredo Tirao. Il travaille à l'époque en théorie de Lie, un domaine de l’algèbre central dans toutes les mathématiques. Il effectue ensuite des séjours post-doctoraux en Europe, en France à l'école polytechnique, puis en Allemagne à l’institut Max Planck en tant que lauréat d'une des prestigieuses bourses Humboldt. Cette période d'ouverture internationale lui permet d'établir des contacts précieux et d'engager des collaborations très fructueuses, notamment avec Hans-Jürgen Schneider évoqué plus haut. Nicolas Andruskiewitsch est nommé Professeur à l’université de Córdoba en 1994 où il conduit jusqu'à aujourd'hui l'intégralité de sa carrière. Suivant le système argentin de double tutelle, il est également chercheur au CONICET (organisme national de recherche en partie comparable à notre CNRS) au grade le plus élevé d'investigador superior. Son engagement est constant dans l’une et l’autre des deux structures, où ses responsabilités institutionnelles et ses expertises sont nombreuses, ainsi qu’au sein de l’Union Mathématique Argentine. Son leadership scientifique croissant, sur une double échelle à la fois argentine et internationale, est bien sûr le reflet de la montée en puissance de son rayonnement mathématique.
Car l’œuvre scientifique de Nicolás Andruskiewitsch est vaste et féconde: 84 articles référencés dans la base de données MathSciNet, avec plus de 1000 citations par plus de 300 auteurs différents. Le nombre et la diversité de ses co-auteurs (30 co-auteurs différents, en Europe, aux Etats-Unis, en Amérique Latine, au Japon et en Chine) attestent de l’influence et de l’impact international de ses travaux. La fécondité de ses idées bénéficie fortement à la formation de jeunes chercheurs puisqu'il a encadré 10 thèses de doctorat, fondant ainsi une véritable école à Córdoba.
Au-delà des chiffres et sans pouvoir rentrer dans les détails mathématiques, je voudrais juste rendre compte de certains des principaux courants sous-jacents à cette œuvre. J'ai déjà évoqué la colonne vertébrale que constitue le programme de classification mené avec Schneider. Il faut pour l'apprécier pleinement en analyser le développement à travers la douzaine d'articles parus progressivement entre 1998 et 2010 dans les toutes meilleures revues, comme autant des marches gravies ou de points d'étapes sur le chemin d'un théorème unificateur. Je veux mentionner aussi la série antérieure de ses travaux des années 90 sur les algèbres de Kac-Moody et les groupes quantiques, où est sensible le glissement de la théorie de Lie vers les algèbres de Hopf dans les recherches de Nicolás Andruskiewitsch. Je veux souligner aussi la richesse du corpus protéiforme sur les algèbres de Hopf que constituent les multiples articles sur certaines facettes particulières de la théorie qu’ils a publiés avec divers co-auteurs issus de ses réseaux internationaux de collaboration, et nous sommes deux dans cette salle à avoir eu le plaisir de compter au nombre de ses co-auteurs français.
Je veux saluer enfin le dynamisme du groupe de chercheurs créé autour de lui à Córdoba par Nicolás Andruskiewitsch, dynamisme qui transparaît dans la vingtaine de publications en collaboration avec les membres de son équipe. Outre les travaux sur les groupoïdes avec Sonia Natale, qui nous fait le plaisir d’être parmi nous aujourd’hui, certaines des plus récentes de ces publications des algébristes de Córdoba s’attaquent déjà à des cas laissés de côté par la classification d’Andruskiewitsch et Schneider (ceux de certains groupes symétriques, alternés ou diédraux, ou certains groupes simples sporadiques). D'autres développent des formes généralisées de leurs constructions initiales (et je pense par exemple à la toute récente méthode de relèvement via des déformations par cocycle). Car une fois encore le poids des travaux déjà réalisés doit être mis en regard des recherches en devenir. Il y a l'exploration de voies nouvelles auxquelles je viens de faire allusion. Il y a aussi les applications que d'autres mathématiciens en tirent pour d'autres problématiques (par exemple actuellement en algèbre homologique).
C’est par tous ces facteurs que, dans son histoire singulière, le mathématicien Nicolás Andruskiewitsch se trouve partie prenante de l’histoire collective d’un pan des mathématiques en construction. On ne s'étonnera pas dès lors de la reconnaissance que lui témoigne la communauté mathématique. En 2007 sa nomination au comité éditorial du Journal of Algebra le consacre comme un des experts mondiaux de la spécialité. Il est également membre du comité éditorial de deux autres revues : Annali dell’Università di Ferrara, et la Revista Colombiana de Matemáticas. En 2011 il est élu membre titulaire de la Academia Nacional de Ciencias (Córdoba). En 2013 il reçoit un prix de la fondation Konex le distinguant parmi les mathématiciens argentins marquants de la décennie. Enfin une nouvelle étape de son rayonnement vient d’être franchie avec son intervention en août dernier comme conférencier invité officiel au Congrès International des Mathématiciens de Séoul, cette conférence gigantesque qui réunit tous les quatre ans des milliers de mathématiciens du monde entier et au cours de laquelle sont décernées les médailles Fields.
En ayant fini avec l'histoire, parlons maintenant de géographie… L'espace naturel où vit un chercheur en mathématique est celui de l'international. L'invitation de Nicolás Andruskiewitsch comme conférencier à l'ICM de Séoul que je viens juste d'évoquer est un témoignage symbolique ponctuel et marquant que ses travaux sont jugés par la communauté mathématique mondiale comme relevant du meilleur niveau au plan international. Mais il faut voir aussi qu'en amont, le rayonnement des idées s’accompagne d’intenses activités corollaires propres à un chercheur de son envergure : coéditeur de plusieurs ouvrages d’actes, organisateur de nombreux colloques, conférencier invité à d'innombrables conférences en Amérique, en Europe ou en Asie (avant-hier encore, il était à Lima), invité pour des séjours de recherche dans de multiples universités (parmi lesquels des centres aussi renommés que le MSRI à Berkeley, l’IHES à Paris, l’IMPA à Rio ou le Max Planck Institute for Mathematics à Bonn...), son statut de spécialiste international sur certaines thématiques algébriques implique aussi des activités quasi-permanentes d’expertise scientifique.
C'est au travers de toutes ces actions que se construit et que vit un réseau scientifique. Et je suis particulièrement heureux aujourd'hui que, dans cette géographie de parallèles et de méridiens où se positionnent les thématiques chères à Nicolás Andruskiewitsch, Clermont-Ferrand se retrouve un peu en connexion avec Córdoba. En effet, l'étude des algèbres de Hopf était déjà bien présente au laboratoire de mathématiques de Clermont, en particulier en géométrie non-commutative autour de Saad Baaj ou en renormalisation avec Dominique Manchon. Mais sur le plan plus algébrique, les séjours de Nicolás Andruskiewitsch à l'Université Blaise Pascal, dont trois fois pour des durées d'un mois ou plus, ont été l’occasion de nouer des collaborations scientifiques durables entre lui et son équipe, et des algébristes clermontois, dont Julien Bichon et moi-même. Nous avons été régulièrement invités à Córdoba pour des séjours de recherche. En 2009 en particulier Julien Bichon était conférencier invité à la conférence internationale sur les algèbres de Hopf. En 2010, un projet international du ministère des affaires étrangères nous a conduits Julien et moi à enseigner à Córdoba deux cours dans un programme complet de niveau Master et Doctorat dont l'autre moitié était assurée par Nicolás Andruskiewitsch et Sonia Natale, cours qui ont été ensuite publiés par la Faculté de Mathématiques.
La réalité des collaborations de recherche s'est traduite par deux articles co-publiés avec Nicolás Andruskiewitsch dans des revues internationales. Le premier avec moi-même en 2008 posait les bases d’une conjecture sur la rigidité de certains groupes quantiques issus de la théorie de Lie. Le second en 2010 avec Julien Bichon concernait une généralisation de la notion de groupe linéaire discret au contexte des algèbres de Hopf. On peut y ajouter les deux articles écrits en commun par Julien Bichon et Sonia Natale. Il faut aussi expliquer comment ce partenariat scientifique progressivement construit se poursuit à travers les visites à l'Université Blaise Pascal de ses collaborateurs et anciens élèves, Sonia Natale bien sûr, mais aussi Fernando Fantino, Iván Angiono ou Agustín García Iglesias, qui séjournait dans notre laboratoire pas plus tard qu'il y a deux semaines. Dans la tradition fédérale de la république argentine, chaque province est traditionnellement affectée d'un qualificatif se référant à son histoire ou à sa géographie. Ainsi la province de Córdoba est-elle toujours dénommée « Córdoba la docta », Córdoba la savante, et pour être sincère, ça me plaît assez que le petit chemin tracé par les mathématiciens entre cette université ancestrale et l’université de Clermont soit ainsi placé sous les auspices de la connaissance revendiquée.
Terminons en parlant une dernière fois de géographie... et là, juste pour une minute, vous me permettrez de passer au tutoiement, qui est usuellement de rigueur entre mathématiciens. Le choix que tu as fait Nicolás des deux textes littéraires qui seront lus pour toi dans un instant a accroché mon attention. Car ils disent avec limpidité ce que j’ai essayé de traduire sans doute confusément durant ce discours sur la double dimension des itinéraires mathématiques.
Tu as choisi le poème Ithaque de Constantin Cavafy, toi le savant voyageur qui parcours les centres de recherche de tant de pays et qui dialogue avec tant de mathématiciens divers. Que tu sois sensible à ces vers chantant la fécondité des échanges et l’impact des parcours croisés me semble si bien coller à ta personnalité scientifique que j’identifierai presque Ithaque et Córdoba.
Tu as choisi aussi un extrait de l’Aleph de Jorge Luis Borges. La façon dont ce texte magnifique part de questionnements sur « l’énumération même partielle d’un ensemble infini » ou de cette infinité d’actes « occupant tous le même point sans superposition et sans transparence », pour arriver finalement à identifier « cet objet secret et conjectural qu’est l’inconcevable univers », me semble une déclinaison littéraire pertinente pour entrevoir quelques facettes de la géographie des idées mathématiques : les réseaux à la fois complexes et limpides qui les relient et les structurent, l’ubiquité frappante de certains concepts centraux et primordiaux, l’efficacité troublante des théories les plus abstraites pour rendre compte du réel : pourquoi faut-il qu'un problème aussi théorique et géométriquement abstrait que la classification des représentations de l'algèbre de Lie sl(3) ait conduit dans les années 70 à prédire l'existence de certaines particules de la physique corpusculaire mises en évidence ultérieurement par l’expérience ?
Ces caractères fascinants imprègnent les paysages mathématiques que tu parcours. Les mathématiques pures où tu excelles, tu sais qu’elles sont une sève nourrissant une multitude de développements ou d’applications, surgissant parfois là où on ne les attendait pas, mais tu sais qu’elles valent aussi et avant tout par elles-mêmes, par ce qu’elles prouvent quant aux richesses infinies de la création intellectuelle. Une grande nation scientifique a besoin de laboratoires de mathématiques performants, et tu représentes au plus haut niveau un pays, l’Argentine, qui a depuis longtemps intégré cet axiome.
On ne parle pas de la vie personnelle des mathématiciens, qui d'ailleurs comme chacun sait n'ont pas de vie personnelle. Mais moi qui ai eu le privilège de partager avec toi bien des discussions conceptuelles ou parfois moins conceptuelles, que ce soit dans les neiges auvergnates ou sous le ciel étoilé des sierras, je retiens de ton parcours l’occasion de témoigner ici que, oui, il y a des mathématiciens qui sont des humanistes, et de réaffirmer derrière Jacobi et Dieudonné que, oui, leur travail est avant tout guidé par « l’honneur de l’esprit humain ».
Réponse de Nicolás Andruskiewitsch
Monsieur le Président, chers collègues.
C’est un grand honneur pour moi de recevoir le titre de Docteur Honoris Causa de l’Université Blaise Pascal. Je remercie profondément l’Université et mes collègues du Département de Mathématiques, particulièrement mes co-auteurs et amis François Dumas et Julien Bichon, avec qui j’ai collaboré à plusieurs reprises.
François a fait une exposé déjà de tous les liens que nous avons. En fait, j’ai l’impression qu’il exagère un peu sur moi...
Nous allons écouter un texte de Borges qui fournit une preuve poétique, comme vous verrez, de l'impossibilité d’une connaissance absolue par une seule personne. Quand on est jeune, on a la tentation de tout connaître, au moins tout connaître dans les mathématiques. Mais le temps passe et au moment de découvrir l'irréalisabilité de cette fin, de ce but, on se pose la question du sens de la poursuite du savoir : bref, la réponse est que le savoir a un sujet et que le sujet de la connaissance est l'humanité.
La connaissance, fugace à l’échelle individuelle, n'a de sens que comme un bien commun. Mais cette connaissance doit être soignée, doit être repensée, transmise, élargie.
La responsabilité de toutes ces tâches appartient a l'Université. C’est l'Université qui transmet les connaissances. Au cours des siècles l’Université a transmis de génération en génération ce trésor, l’a augmenté, analysé et digéré.
Or cette transmission traditionnellement s'est faite dans une échelle temporelle, ou si vous acceptez la métaphore, verticale. Au cours des dernières décennies, s'est produit un changement significatif dans la carte de la connaissance; sont nées ou se sont développées des universités dans des pays qui n’étaient pas traditionnellement dans les premiers rangs de la scène de la connaissance. Pour que cela soit possible, il y a eu un transfert de connaissances dans une dimension spatiale, ou si vous voulez, horizontale. Si les médias électroniques ont sans doute accéléré la vitesse de cette transmission, c’est la générosité des chercheurs dans les pays centraux qui a été vitale pour cette transmission. Moi, j’ai été le témoin privilégié de cette évolution.
Et la quête du savoir est aussi un voyage, un voyage dans l'inconnu. Donc je pourrais dire que j’ai entrepris un voyage multiple dans plusieurs dimensions et de diverses résonances. Si j’ai trouvé des Lestrygons dans le chemin, c’était moi qui les avait portés avec moi.
J’ai remporté beaucoup : l'amitié de collègues qui ont partagé leurs connaissances, pas seulement les mathématiques, les villes que j’ai visitées, les plaisirs de la découverte partagée, la certitude que l'homme est un, et que rien d'humain ne nous est étranger.
J’ai essayé de me rappeler ce que signifient les Ithaques, et je ne diffère point d'atteindre ses rives bientôt, parce que j’attends encore beaucoup de ce voyage.
Merci pour votre attention!
Entretien entre Nicolás Andruskiewitsch et François Dumas
Film des différents moments
Le film suivant comprend quatre moments :- Éloge de Nicolás Andruskiewitsch par François Dumas ;
- Réponse de Nicolás Andruskiewitsch ;
- Lecture d'un extrait de L'Aleph de Jorge Luis Borges par Tatiana Blanco et Viviane Alary ;
- Lecture d'Ithaque de Constantin Cavafy par Mathias Bernard.
Chacun de ces moments peut être écouté séparément à l'aide du menu obtenu en cliquant sur l'icône .
L'ensemble de la cérémonie fait l'objet de la vidéo suivante.